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trée des champs, me donna plusieurs claques et une bonne fessée qui me firent sauver au fond de la chènevière, dans un grand fossé bordée d’ormeaux, où je boudai et pleurai tout mon soûl. Quand ce fut l’heure du repas, mon parrain vint me chercher pour manger ; il ne parvint à me décider à le suivre qu’en me jurant que je ne serais plus ni battu, ni fâché. Je lui demandai des nouvelles du troupeau. Il me répondit que Parnière, de la Bourdrie, avait percé les dix bêtes les plus malades et que deux brebis seulement, plus un petit, étaient crevées. On comptait que tout le reste aurait la vie sauve. Et, en effet, il n’en creva plus.

De cette affaire, mon ami l’Auvergnat paya les pots cassés. Quand il revint avec son tonnelet dans le cours de la soirée, ma grand’mère et ma mère, l’ayant accosté, lui firent une scène violente, l’accusèrent d’être cause de ce grand malheur qui allait nous mettre tous sur la paille et lui défendirent de reprendre de l’eau à notre fontaine. Il fut d’abord tellement déconcerté qu’il ne trouvait rien à dire. Ayant compris enfin ce qui était arrivé et ce qu’on lui reprochait, il baragouina beaucoup, tendit les bras avec de grands gestes comme pour prendre le ciel à témoin de sa complète innocence, puis, voyant au degré d’exaspération des deux femmes que nulle explication raisonnable n’était possible, il prit le sage parti de s’en aller quérir l’eau à la source de Crozière, de l’autre côté de la Bourdrie, à trois bons quarts d’heure de son chantier. Et ce fut dorénavant toujours la même chose. Pour moi, je ne revis plus jamais le pauvre scieur.

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En plus de ces événements extraordinaires, les orages me causèrent de sérieux ennuis au cours de cet été. J’avais l’ordre de rentrer dès qu’il viendrait à tonner fort, parce qu’il est mauvais de laisser mouiller les moutons.