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propriétaires : il me faudrait une maison confortable, un jardin sablé avec des fleurs et des ombrages, et puis un cheval et une voiture pour me promener.

— Moi, dit Georges, j’aimerais bien la campagne pendant six mois, l’été, pour pouvoir chasser, pêcher, courir dans les prés, cultiver un jardin.

Je fis cette réflexion que je n’osai formuler :

— Tous les gens des villes sont ainsi : ils ne voient de la campagne que les agréments qu’elle peut donner ; ils s’en font une idée riante à cause de l’air pur, des prairies, des arbres, des oiseaux, des fleurs, du bon lait, du bon beurre, des légumes et des fruits frais. Mais ils ne se font pas la moindre idée des misères de l’ouvrier campagnard, du paysan. Et nous sommes dans le même cas. Quand nous parlons des avantages de la ville et des plaisirs qu’elle offre, nous ne nous doutons pas de ce que peut être en ville la vie de l’ouvrier dont le travail est l’unique ressource.

Quand les jeunes gens furent partis, j’éprouvai, — et nous éprouvâmes tous, je crois bien, — une sensation de soulagement identique un peu à celle que doivent éprouver les prisonniers qui se retrouvent à l’air libre. Leur présence d’abord nous causait du dérangement, car il y avait toujours des moments où l’on était forcé de s’attarder à table, de délaisser le travail pour leur tenir compagnie ; elle nous causait surtout une sorte de contrainte et de gêne. La cohabitation avec des gens qu’on sent différents de caractère et de mœurs est toujours pénible, même quand ils nous touchent de près. Où il n’y a pas communion d’idées règne le malaise.

Le pâtre fut seul à s’affliger du départ de nos hôtes. Je l’entendis qui disait le soir à la servante :

— J’aurais bien voulu qu’ils restent plus longtemps, les Parisiens : on mangeait mieux…