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quasi tous claudicants, à qui une saison devait rendre leurs bonnes jambes d’autrefois, exemptes de douleurs. Ils revinrent par la forêt et rentrèrent à la tombée du jour, enchantés de leur promenade.

Mais il plut le mardi, et la journée se passa tristement. Georges, ne pouvant sortir, s’ennuya ferme ; il fuma cigarettes sur cigarettes et écrivit des lettres, — après que le pâtre fut allé au bourg acheter de l’encre, car nous n’en avions pas. La pluie ayant cessé dans l’après-midi, il manifesta l’intention de se risquer dehors, et Berthe voulut le suivre. Mais il y avait trop d’eau et de boue pour qu’elle pût sortir avec ses bottines ; elle mit donc les sabots des dimanches de Rosalie ; seulement les pieds lui tournèrent bientôt, car elle ne savait pas du tout les porter ; elle fit cent mètres et puis revint, craignant de se faire une entorse. De tout le soir elle n’eut plus un sourire, et ses grands yeux brillèrent dans son visage sévère avec une intensité où perçait son dépit : elle fut nerveuse et chagrine.

Georges et Berthe restèrent jusqu’au samedi, huit jours pleins. Je ne sais trop, en somme, s’ils emportèrent un bon souvenir de leur séjour parmi nous, bien qu’ils aient eu la satisfaction de boire de grands bols de lait frais dont ils faisaient beaucoup de cas. Je crois que cela les ennuyait un peu de voir que l’on faisait des frais pour leur cuisine. Ils nous plaignaient aussi, je pense, de travailler tant, d’avoir si peu d’agréments, d’être si bêtes. Ils durent perdre beaucoup de leurs illusions sur la campagne.

— Nièce, dis-je à Berthe le matin du départ, dites que vous trouveriez le temps long s’il vous fallait rester ici toujours ?

— C’est vrai, mon oncle ; j’aurais de la peine à devenir fermière. Pour que la vie rurale me plaise, il faudrait que je sois dans les mêmes conditions que vos