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vivions aussi mal ; et pourtant, notre ordinaire était meilleur que de coutume.

— Il ne faut pas cependant que nous leur fassions trop pitié, avais-je dit à ma femme.

Comme à Paris, Georges et Berthe faisaient la grasse matinée. On fermait à leur intention les vieux volets délabrés de la fenêtre qui restaient d’habitude constamment ouverts ; le Jean et sa femme qui couchaient dans la même pièce, faisaient le moins de bruit possible en se levant ; et les jeunes époux restaient au lit jusqu’à sept heures et plus. Rosalie disait que de toute la journée c’était le seul moment de tranquillité, attendu qu’on ne les avait pas sur le dos.

Dès qu’elle était levée, Berthe, en peignoir et pantoufles, courait de ci de là, avec des exclamations et des étonnements de gamine. Elle faisait le tour du jardin, entrait au poulailler pour dénicher les œufs frais pondus, prenait plaisir à voir manger les petits canards et les petits poussins. Elle allait même dans l’étable à vaches au moment de la traite ; mais il y avait entre les pavés mal joints des trous pleins de purin qu’elle ne parvenait qu’à grand’peine à éviter ; une fois, elle enfonça dans un de ces trous l’une de ses pantoufles ; des gouttes odorantes tavelèrent de taches brunes le bas de son peignoir clair ; et, dans la préoccupation que lui causait cet accident, elle faillit être atteinte par le jet d’une vache qui fientait. Elle avait aussi peur des veaux ; elle poussait des cris perçants lorsqu’on les détachait et qu’ils traversaient l’étable très vite, allant téter. Pour ces différentes raisons, elle ne tarda pas de ne plus vouloir franchir le seuil de cet endroit dangereux. Quand elle était fatiguée de courir au dehors, elle s’occupait à faire de la tapisserie, de la dentelle, petits travaux d’agrément qu’elle avait l’air de bien connaître.