Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/279

Cette page a été validée par deux contributeurs.

laient plus faire table à part, qu’ils entendaient manger avec nous et comme nous au repas du milieu du jour, que l’on se vit dans l’obligation de les satisfaire. Pour la circonstance on se mit à table à midi, c’est-à-dire une grande heure plus tôt qu’à l’ordinaire. Et il y avait un tas de choses exceptionnelles : du vin d’abord, puis une juteuse omelette aux œufs purs, des biftecks, du fromage à la crème saupoudré de sucre et des poires d’un espalier du jardin qu’on aurait vendues au moins vingt sous le quarteron au marché de Bourbon. Seulement, Victoire avait imaginé de mettre un plat à chaque bout de la table : celui de l’extrémité opposée aux étrangers contenait des aliments qui n’étaient conformes aux autres qu’en apparence, et encore ! l’omelette était aux pommes de terre, les biftecks étaient des morceaux de lard grillé ; le fromage n’avait guère de crème et pas du tout de sucre ; les poires seules étaient identiques, mais la bourgeoise fit de vilains yeux au pâtre qui s’avisa d’en prendre une.

— Tu dois pourtant en trouver assez dans les champs, glissa-t-elle à mi-voix ; les bâtardes ne manquent pas, à cette saison…

Alors, ceux de la maison comprirent que les belles poires étaient là seulement pour figurer, et personne ne s’avisa plus d’y toucher.

Au repas du soir, Victoire n’essaya même plus de sauver les apparences. Il y eut pour tout le monde soupe et lait comme de coutume, et les Parisiens eurent un potage au vermicelle avec une purée de pommes de terre et un morceau de veau rôti. Berthe, qui paraissait s’entendre à merveille à la préparation de ces petits plats fins, aidait Victoire de ses conseils.

Les jours suivants, nos hôtes acceptèrent sans récrimination d’être mieux traités que nous. Ils eurent, je crois, un étonnement considérable de voir que nous