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siettes de terre rouge et le trempèrent avec du lait froid. La Parisienne fut très étonnée de cela.

— Mais alors c’est une autre soupe… Vous mangez deux soupes à votre dîner ?

Elle comprit à ce moment sans doute que ce second dîner n’avait guère retardé la cuisinière. Je leur proposai de faire un tour dehors à la fraîcheur, voyant que leur présence gênait les femmes pour la vaisselle. Jean et Charles s’étant joints à nous, nous fîmes ensemble le tour du pré de la maison. La promenade fut monotone ; la lune éclairait un peu, mais le ciel était sombre et la brise plutôt fraîche. Georges, ayant senti frissonner sa femme, répétait à tout propos, bien qu’elle se défendît d’avoir froid : — Tu vas t’enrhumer, ma chérie, j’en suis sûr : il ne faut pas nous attarder.

Grâce à Charles, qui leur tenait tête assez bien, la conversation ne languit pas trop ; mais, pour mon compte, je dis fort peu de chose, d’abord parce que je me sentais ridicule de parler si mal à côté d’eux qui parlaient si bien, et aussi parce que je n’osais leur poser de questions sur la ville, prévoyant qu’elles seraient pour le moins aussi naïves que les leurs sur la campagne.

Quand nous fûmes de retour à la maison, avant de leur souhaiter le bonsoir, Victoire demanda aux jeunes gens ce qu’ils prenaient le matin.

— Ne faites rien de spécial pour nous, ma tante, dirent-ils à la fois, nous mangerons la soupe de tout le monde.

Ils ne se doutaient pas que le repas du matin était le plus important de nos repas, celui auquel nous mangions d’habitude la potée au lard. Bien entendu, la bourgeoise ne tint pas compte de leur réponse : elle leur prépara du café au lait.

Mais ils redirent tellement le matin qu’ils ne vou-