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Georges et sa femme, bras dessus, bras dessous, marchaient en avant ; Charles tenait la bourrique par la bride ; sur la voiture étaient les bagages : une grosse malle, deux valises, un carton à chapeaux.

Je criai « Cho-là ! » à mes bœufs qui s’arrêtèrent. Charles dit :

— C’est mon père.

Les deux jeunes époux eurent une même exclamation :

— Ah ! c’est l’oncle ! Bonsoir, mon oncle…

Ils se précipitèrent pour m’embrasser.

— Pauvre oncle, nous sommes bien contents de vous voir.

— Moi aussi, mon neveu, moi aussi, ma nièce, balbutiais-je.

J’avais laissé tomber l’aiguillon que je tenais à la main et je me laissais embrasser.

— Je ne suis pas dans une jolie tenue pour vous recevoir, dis-je avec un peu de confusion, la première expansion passée.

En effet, mes sabots presque usés, émoussés du bout, étaient enduits de fumier et les diverses pièces de mon accoutrement, — ma culotte de toile grise déchirée aux genoux, ma chemise à carreaux bleus, même mon vieux chapeau de paille aux bords effrangés, — en avaient aussi leur part ; mes pieds, qui étaient nus dans mes sabots, mes mains aux gros doigts calleux, portaient également de larges plaques séchées. Enfin, on était au vendredi, et j’avais ma barbe du dimanche, hirsute et piquante. Je me demandais quelle impression je devais faire sur cette élégante petite Parisienne, toute frêle et mignonne, dont les cheveux noirs fleuraient bon. De la toucher, cela me faisait l’effet d’une profanation. Elle avait une robe bleue à volants avec des revers en dentelle, un grand chapeau de paille garni seulement