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chaîne d’or au cou. On avait remarqué qu’elle achetait beaucoup de café et du sucre par demi-pains. Victoire, qui ne pouvait pas la sentir, me dit un jour :

— La Claudine fait la grosse Madame, savoir si ça tiendra longtemps ?

Ça ne tint que cinq ou six ans. L’ancien propriétaire de la locaterie qui n’avait été soldé qu’à moitié, avait pris hypothèque pour le reste. Le Louis lui payait les intérêts à cinq pour cent et lui donnait ainsi annuellement une somme presque égale à la valeur locative du bien. De plus, ayant voulu faire des réparations, il s’était endetté par ailleurs ; il ne pouvait donc que se couler vite. Quand il eut conscience d’être sur une pente dangereuse, il essaya pourtant de lutter : il revendit son équipage, alla moins au café, se remit à travailler ; mais le mal était fait, le mal était irréparable. L’ancien propriétaire, à qui il devait trois années d’intérêts, reprit possession de sa locaterie en lui donnant juste de quoi désintéresser les autres créanciers. Resté sans ressources aucune, mon pauvre frère en fut réduit à se loger dans une chaumière misérable et à aller travailler de côté et d’autre comme journalier. Il mourut deux ans plus tard, d’une congestion, un jour de grand froid qu’il cassait de la pierre sur la route de Moulins.

Claudine, qui savait si bien faire la dame, fut obligée de se mettre à laver les lessives et à aller aux aumônes. Sa carrière s’acheva bien tristement.


XLVIII


À Clermorin, à l’automne de 1880, nous eûmes la visite de Georges Grassin et de sa femme. Georges