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fièrement sur les coussins fanés, ce couple de bourgeois crève-la-faim.

On peut croire que les Gouin, bouffis de vanité, préférant se rendre malheureux que de changer extérieurement leur genre de vie, pressuraient de la belle façon les métayers de leur unique domaine. Rares étaient ceux qui restaient plus de deux ou trois ans sous leur coupe. C’étaient généralement des gens très pauvres qui consentaient à venir, et ils repartaient toujours plus gueux qu’ils n’étaient entrés. Un des clichés du pays était de dire que ces propriétaires-là collectionnaient dans leur grenier les peaux des nombreux métayers qu’ils avaient écorchés.

Mon parrain était donc bien loin d’être en passe de faire fortune.

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Faire fortune, c’est le rêve de tous les travailleurs. Mon frère Louis, pendant un moment, crut l’avoir réalisé. En douze ans, de 1860 à 1872, il avait trouvé le moyen de réserver une huitaine de mille francs. Alors le diable l’avait tenté de vouloir être propriétaire. Une jolie petite locaterie de cinq hectares s’étant trouvée à vendre à Montilly, il l’avait achetée pour quinze mille francs. Là-dessus, il s’était monté d’un cheval, d’une voiture à ressorts et d’une peau de chèvre, et il allait aux foires avec des allures de gros fermier. Il faisait la mouche au sou tous les dimanches et, souvent, invitait des amis à festoyer chez lui. On le nomma conseiller municipal : il en fut très fier. Quand nous nous rencontrions à Bourbon, il me regardait de haut et semblait faire un effort pénible pour condescendre à s’entretenir avec moi.

Claudine, sa femme, était encore plus orgueilleuse que lui ; elle avait grossi ; elle portait des caracos à la mode, des bonnets à double rang de dentelle et une