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de faire bonne figure dans le monde des hobereaux calés du pays. Ils allaient en visite dans plusieurs châteaux, y dînaient même quelquefois. Quand il fallait rendre ces dîners, la maison était sens dessus dessous pendant quinze jours.

— Faire bien, ne guère dépenser, voilà le but à atteindre, disait Agathe.

L’on faisait bien pour ne pas avoir l’air de déchoir ; mais les frais étaient lourds et il y avait ensuite une période navrante : pendant plusieurs semaines, les maîtres eux-mêmes se condamnaient à la soupe à l’oignon et au pain de troisième et ils ne vidaient plus la bouteille que quand le vin était en état d’accommoder la salade. Au cours d’une de ces mauvaises journées, M. Gouin étant allé chez mon parrain à l’heure du repas, on lui offrit de goûter aux poires sèches cuites sur lesquelles il jetait des regards de convoitise : il en mangea une demi assiette.

De leur ancienne splendeur, une voiture d’aspect passable encore leur restait, une grande voiture à capote qu’Agathe appelait la victoria. De temps en temps, l’idée lui venait de se rendre à Moulins pour des emplettes, ou bien de faire des visites, ou simplement, à la belle saison, de se promener. Alors elle envoyait la bonne prévenir mon parrain qu’il eût à amener la vieille poulinière de la ferme. À l’heure dite, il l’attelait à la victoria et grimpait sur le siège, car il était tenu de faire le cocher. L’équipage était vraiment comique et donnait lieu à des plaisanteries sans fin. Qu’on se figure cette vieille poulinière au poil rude, d’un blanc sale, souvent crottée de la boue des pacages, traînant lentement, lourdement, l’ancienne belle voiture ; ce vieux campagnard en blouse et sabots improvisé cocher, qui se tenait écrasé sur son siège et maniait gauchement le fouet ; et, dans le fond, étalé