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en main le gouvernement du ménage ; elle détenait l’argent et ne lui donnait pas même de quoi aller au café une fois la semaine. Conséquence : rôdait constamment dans le bourg d’Autry ce bourgeois veule et ennuyé qui ne savait comment tuer les heures de la journée. Il allait de la boutique du menuisier à celle du maréchal, accostait les passants et aidait le garde-champêtre à coller les affiches le long du mur de l’église. Parfois, quelqu’un lui disait d’un ton d’ironie, sachant qu’en sa poche il logeait le diable :

― Payez-vous une chopine, monsieur Gouin ?

— Impossible, il faut que je rentre : on m’attend…

— Ah ! venez tout de même : c’est moi qui la paie.

Alors on ne l’attendait plus… Il acceptait sans honte, ce bourgeois, tellement il aimait licher, les libéralités méprisantes des tâcherons aux mains calleuses… Chez lui, toute satisfaction gourmande lui était refusée. — Mme Gouin, — Agathe ainsi que tout le monde la nommait communément, — avait toujours dans sa poche la clef de la cave et celle du buffet aux liqueurs, et elle n’ouvrait ces sanctuaires qu’aux grandes occasions. Aux repas, une bouteille de vin figurait bien sur la table, mais à titre honorifique seulement ; toute la semaine elle restait intacte, à moins qu’il ne se présentât quelque importun à l’heure psychologique ; autrement, on ne la vidait que le dimanche.

Agathe lésinait de même sur les plus petites choses, comme les plus pauvres femmes de journaliers : sur l’éclairage et le chauffage, sur le savon, sur le beurre, même sur le poivre et le sel. La servante n’avait pas droit au pain blanc ; elle partageait avec le chien la miche de troisième. D’ailleurs, la pauvre fille ne mangeait même pas à sa faim. Trois bonnes d’affilée sortirent anémiques de la boîte.

Le comble était que les Gouin voulaient continuer