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m’enlève ! » Ma foi, je leur répondis carrément que ce terme m’était aussi nécessaire que mes prises de tabac et que je ne pouvais m’engager à ne plus m’en servir. En effet, ces deux mots me venaient aux lèvres inconsciemment, tout comme Charles ses blasphèmes, d’ailleurs.

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Eh bien, quoique toujours fourrées à l’église, au confessionnal, à la table sainte, quoique ayant une horreur exagérée des vilains mots, elles ne valaient tout de même pas cher, les deux vieilles toupies ! Elles étaient dures comme des roches et malicieuses autant que leur père.

L’hiver de 79-80 fut un grand hiver. Un froid intense régna pendant deux mois. On entendait la nuit craquer les arbres torturés par le gel. Les moineaux, les roitelets, les rouges-gorges se réfugiaient dans les étables où il était facile de les prendre, tellement ils étaient épuisés ; tous les matins, on découvrait quelques-uns de ces pauvres petits oiseaux gelés à proximité des bâtiments. Les sinistres corbeaux croassaient par bandes aux abords des fermes, se hasardaient, talonnés par la faim, à venir picorer sur le tas de fumier, furtivement. Chez les pauvres gens la misère était grande. Les journaliers qui chômaient, s’avisèrent de parcourir la campagne pour chercher du bois mort. Certains eurent le tort de s’attaquer, la nuit, à des arbres entiers. Dans un de nos champs, un gros érable disparut. M. Noris et ses filles vinrent constater le larcin, et il me fut donné d’entendre Mlle Yvonne dire au garde :

— Il faudra faire de fréquentes tournées nocturnes et, s’il vous arrive d’apercevoir quelqu’un de ces misérables, n’hésitez pas : tirez-lui dessus !… vous en avez le droit.

Voilà comment ces bigotes pratiquaient la charité, vertu essentielle du Christ humanitaire, du Christ de