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font aucunement fi des plaisirs de la terre ; ils boivent de bon vin, ne dédaignent pas la cuisine de choix et s’entendent à soutirer l’argent des fidèles. Quant à leurs discours, ils y croient ou ils n’y croient pas : c’est leur affaire. Je me reconnaissais un complet ignorant ; mais je me disais pourtant que sur cette question du devenir de l’âme, les plus malins de la terre et le pape lui-même n’en devaient pas savoir plus que moi, attendu que personne encore n’est revenu de là-bas pour dire comment les choses s’y passent. Je pensais donc rarement à la mort et jamais au salut éternel, et j’avais délaissé complètement la confession depuis mon mariage. J’en connaissais qui étaient fidèles à cet usage et que ça ne rendait pas meilleurs. Victoire se confessait et Rosalie aussi : ni l’une, ni l’autre n’en étaient plus douces. Ma femme restait toujours froide et grincheuse, ma bru hargneuse et turbulente ; elles agissaient absolument le lendemain comme la veille.

— Alors, à quoi bon ? me disais-je.

Je croyais fermement par exemple, à l’existence d’un Être suprême qui dirigeait tout, réglait le cours des saisons, nous envoyait le soleil et la pluie, le gel et la grêle. Et comme notre travail, à nous cultivateurs, n’est propice que si la température veut bien le favoriser, je m’efforçais de plaire à ce maître des éléments qui tient entre ses mains une bonne part de nos intérêts. Pour cette raison, je ne manquais guère les cérémonies où le succès des cultures est en jeu, et j’étais le continuateur fidèle de toutes les petites traditions pieuses qui se pratiquent à la campagne en de nombreuses circonstances. J’allais toujours à la messe des Rameaux avec une grosse touffe de buis et j’en mettais ensuite des fragments derrière toutes les portes. Derrière les portes, je mettais aussi les petites croix d’osier qu’on