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blique l’agitait de grands frissons nerveux, lui faisait serrer les poings de rage impuissante. À Bourbon, les gamins le suivaient en bande, criant : « Vive la République ! » chantant des couplets de la Marseillaise, ou bien cornant à ses oreilles, comme une mélopée sans fin :

— Blique, blique, blique ! Blique, blique, blique !

Chaque fois, il manquait en devenir fou ; il n’osait plus traverser la ville en dehors des heures de classe. On racontait qu’en 1877, alors qu’il souffrait d’une bronchite qui avait failli l’emporter, on était venu lui annoncer les résultats d’une élection favorable aux républicains ; il s’était soulevé sur sa couche d’un brusque ressaut, et, dans un murmure haletant, il avait exhalé la haine profonde de son cœur :

― Les brigands !… Il n’y a donc plus de place… à… Cayenne !…

Et il était retombé sur l’oreiller, inerte, évanoui.

Une fois, quatre ans plus tard, il vint chez nous en temps de période électorale. Il vit des programmes et des journaux envoyés par le docteur Fauconnet, candidat républicain.

― Ne gardez pas ici ces papiers diaboliques. Au feu, les mauvais écrits ! Au feu, les mauvaises feuilles ! Vous attireriez le malheur sur vous en les conservant.

J’objectai que personne ne savait lire.

― Leur présence seule est dangereuse, reprit-il.

Et il les jeta lui-même dans le foyer ; puis il conclut :

— Le garde vous remettra le jour du vote, à la porte de la mairie, les bulletins à mettre dans l’urne, vous m’entendez ?…

Les ouvriers, les commerçants, les fournisseurs de toute sorte étaient choisis soigneusement en dehors des rouges. Et il nous obligeait à faire comme lui, à