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Mais voilà que me revinrent en mémoire les histoires de malfaiteurs et de brigands que j’avais entendu raconter aux veillées d’hiver. Sans répondre ni attendre plus, je me pris à courir avec la résolution d’abandonner mon poste ; je pus, cette fois, éviter les ronces et je gagnai sans encombre la barrière d’accès, puis la rue Creuse. Je me dirigeais en hâte vers la maison. Cependant l’homme à barbe noire criait derrière moi :

— Pourquoi te sauves-tu, pequi, je ne veux pas te faire de mal.

Il riait en me suivant toujours, et, rien qu’en marchant de son pas normal, il me gagnait du chemin. Quand je me hasardais à jeter derrière moi un coup d’œil craintif, je le voyais qui approchait, qui approchait… Et lorsqu’enfin je débouchai dans la cour il n’était plus qu’à quelques pas. N’importe, je me crus sauvé, puisque j’allais pouvoir m’engouffrer dans la maison. Surprise ! la porte était close ! J’eus beau la secouer, elle ne céda pas, elle était fermée à clef. Trop las pour courir encore, je me blottis dans l’embrasure en poussant des cris comme si l’on m’égorgeait. L’homme des bois arrivait : il se fit très doux :

— Pourquoi pleures-tu, mon pequi ami ? Je ne suis pas méchant ; au contraire, j’aime bien les pequis enfants.

Il se mit à me tapoter les joues, et, en dépit de mes larmes, je remarquai qu’il avait les mains racornies, la figure maigre, et de bons yeux doux sous d’épais sourcils noirs. Il répéta sa phrase du début :

— Je ne veux pas te faire de mal…

Et il dit encore :

— Où sont donc tes parents ?

Il n’avait pas l’accent du pays ; il prononçait textuellement : — « Où chont donc tes parents ? » alors qu’un