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nuscule taillis enclavé dans nos cultures, ils pullulaient au point de détruire à moitié nos céréales les plus proches. Mais il était inutile de se plaindre des méfaits des rongeurs : M. Noris ne leur donnait jamais tort. Il aimait, au cours de ses pérégrinations, les voir détaler dans les sillons à l’approche de ses deux grands lévriers, et il n’en tuait pas beaucoup. D’autre part, son garde était un être hirsute et brutal qu’il avait choisi à dessein et qui veillait avec une vigilance outrancière. Il suffisait qu’un individu traversât, les mains dans les poches, un coin de la propriété pour qu’il soit appréhendé par lui. À vrai dire, dans ce cas-là, il ne dressait pas procès-verbal ; il se bornait à enjoindre au prétendu délinquant d’avoir à se présenter sans délai devant le maître. Le maître lui passait une semonce, lui faisait donner cent sous ou dix francs, et les choses en restaient là : ce n’en était pas moins un véritable chantage. Quand il y avait la moindre présomption, le procès suivait son cours. Un métayer de nos voisins en eut un qui lui coûta quatre-vingts francs parce que le garde, certain jour, découvrit un lacet dans la bouchure qui séparait d’un de nos champs le champ où il labourait. Le pauvre homme m’a bien juré cent fois par la suite qu’il ignorait jusqu’à la présence de ce piège dans la haie mitoyenne et que, pour son compte, il n’en tendait jamais.

Les braconniers n’étaient pas les seuls à encourir la haine implacable de M. Noris : les républicains étaient dans le même cas. Il souhaitait pour les uns et pour les autres des peines exemplaires, des supplices raffinés. Il eût voulu les voir tous en prison, aux travaux forcés, relégués dans des colonies lointaines. La destruction d’une nichée de lapereaux, d’un nid de perdrix, ou bien un coup de fusil tiré dans ses terres, le mettaient dans une exaspération furieuse ; le mot seul de Répu-