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— Je vous dois cinq cent trente-six francs, ni plus ni moins.

Je feignis d’être très surpris, puis je prétendis avoir oublié un achat de moutons et, finalement, j’insistai pour avoir mon argent. Tout en maugréant, il me remit quatre cents francs et déclara ne pouvoir, faute de monnaie, me donner le reste. Je fus obligé de me payer moi-même dans le courant de l’année : ayant touché la solde d’une vente de taureaux, je retins les cent trente-six francs qui m’étaient dus ; il fit la grimace, mais n’osa s’en fâcher.

Tous les ans, pour le décider à régler, des ruses nouvelles étaient indispensables. Et comme il inscrivait assez irrégulièrement ses comptes, il y avait quasi toujours des anicroches.

M. Noris avait le culte des chevaux et la passion de la chasse. Nous avions une grosse poulinière baie qui donnait un petit chaque année. Ordinairement, les cultivateurs qui ont une poulinière s’en servent pour aller aux foires et faire leurs courses, et l’emploient aussi parfois aux travaux des champs. Mais, de par les ordres du maître, la nôtre était exempte de toute corvée : il disait :

— Le travail déforme les juments, et leurs produits s’en ressentent.

Mais la vraie raison était qu’il ne voulait pas que ses métayers aient la faculté d’aller en voiture ; cela lui semblait pour eux un luxe déplacé et tout à fait superflu. Il prenait chez lui les jeunes poulains dès qu’ils avaient un an et les faisait préparer pour les concours hippiques, les remontes ; il ne nous les payait pas cher, bien qu’il en tirât toujours beaucoup d’argent.

En dépit de son grand âge, le propriétaire faisait quotidiennement, à l’automne, sa tournée de chasse. Le gibier abondait, les lapins surtout : autour d’un mi-