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M. Noris avait bien d’autres manies ennuyeuses. C’est ainsi qu’il n’était jamais disposé à régler les comptes, en fin d’année. Le compte des métayers de l’autre domaine n’avait pas été mis à jour depuis quinze ans. Quand les pauvres gens avaient trop besoin d’argent, il leur donnait d’un ton rogue une somme toujours plus basse que celle qu’ils demandaient. Une fois, mon prédécesseur à Clermorin lui ayant demandé avec insistance, sur le champ de foire de Bourbon, une somme dont il avait besoin, le digne propriétaire n’avait rien trouvé de mieux que de jeter, d’éparpiller à plaisir autour de lui une dizaine de pièces de cent sous, tout en disant de sa voix nasillarde :

— Tiens, en voilà de l’argent ! Tiens, en voilà ! Ramasse…

Et l’autre avait été obligé de les recueillir dans la boue, à la grande indignation des braves gens et à la grande joie des imbéciles.

Je ne tenais pas du tout à ce que nos comptes restent en retard indéfiniment : Charles eut une idée.

— Il te faut voir le maître et lui demander plus qu’il ne nous doit, me dit-il.

Effectivement, j’allai le trouver chez lui une huitaine après la Saint-Martin.

— Monsieur Noris, je voudrais qu’on règle, j’ai absolument besoin d’argent.

— Vous n’en avez guère à prendre, Bertin ; les bénéfices n’ont pas été forts, cette année.

— Vous me devez, je crois, dans les douze cents francs, monsieur ; (je savais que c’était le double au moins du chiffre réel).

— Jamais de la vie, jamais de la vie…

Et, tout sursautant, il se précipita sur son livre de comptes.