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proximité du bourg de Saint-Aubin, une grande vieille maison très simple dont un rideau de lierre masquait mal les lézardes des murs gris. Ce nouveau maître était le type du petit bourgeois local ; il avait toujours habité la campagne, et Moulins était sa seule capitale. À Moulins, il faisait partie d’une société dite des Intérêts culturaux, entièrement composée de bourgeois comme lui qui, tous, s’intitulaient agriculteurs. La dite société s’efforçait de jouer un rôle considérable en organisant des concours pour lesquels elle sollicitait des subventions du gouvernement, — dont elle était pourtant l’acharnée ennemie, — et en adressant des pétitions aux Chambres pour leur demander d’imposer les produits agricoles étrangers.

M. Noris était pingre ; je ne fus pas long à m’en apercevoir. Il lésinait sur les dépenses, préférait nous laisser vendre des bêtes en mauvais état plutôt que d’acheter des tourteaux ou des farineux pour les faire progresser. Et il ne fallait jamais lui parler d’acheter des engrais.

— Non, non, pas de phosphate ! le fumier de ferme doit suffire, disait-il.

Et il secouait sa vieille tête d’oiseau avec des gestes de terreur. Pour un membre de la société des Intérêts culturaux, ce n’était pas un raisonnement bien fort…

Le même sentiment d’avarice têtue était cause qu’il vendait rarement la marchandise à la première foire. Il faisait une estimation préalable toujours trop élevée et ne voulait pas démordre de ce prix qu’il s’était fixé à lui-même. Nous ramenions nos bêtes pour les conduire quelques jours après à une seconde foire d’où, parfois, nous les ramenions encore. À la troisième, le maître vendait, de guerre lasse, et souvent avec de la perte sur les prix qu’on nous avait offerts primitivement.