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de coutume à la nuit tombante, des larmes coulaient encore sur mon visage convulsé par les sanglots. Pour me consoler, ma mère me tailla une part de la miche de froment et me donna quelques poires Saint-Jean qu’elle avait trouvées sous le poirier de la chenevière. En dépit de mon chagrin, je mangeai goulûment ces bonnes choses. Mais cela ne me réussit pas ; j’eus, la nuit, un cauchemar épouvantable provenant d’une digestion pénible : il me fallut vomir.

Le lendemain, on me laissa dormir ; et, comme les foins étaient en passe d’être finis, ma grand’mère me remplaça auprès des moutons pour quelques jours.

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Quand le seigle fut mûr, — et cela ne tarda guère, — il me fallut repartir. Je n’étais pas entièrement revenu de ma frayeur ancienne, et voici qu’au lendemain de cette reprise j’en eus une nouvelle, peut-être plus vive encore.

Je m’occupais à faire un gros bouquet, mariant, aux suaves parfums du chèvre-feuille, les couleurs vives des genêts d’or, des pâquerettes blanches et des bruyères roses, quand un jappement avertisseur de Médor me fit soudain lever la tête. Sortait du bois et s’avançait de mon côté un grand gaillard à barbe noire qui portait sur son épaule un tonnelet au bout d’un bâton.

J’étais sauvage et timide plus que de raison, car notre ferme était isolée et il était rare que j’aie l’occasion de voir des étrangers, sauf pourtant ceux des fermes voisines : les Simon, de Suippière, les Parnière, de la Bourdrie, et, quelquefois, les Lafont, de l’Errain. En voyant venir ce grand noir qui n’était ni de Suippière, ni de la Bourdrie, ni de l’Errain, je fus tout d’abord frappé de stupeur et ne bougeai pas. Il m’appela :

— Petit ! (il prononçait pequi). Eh pequi, viens voir là !…