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cinquante francs. Comme s’il eût craint d’affronter de près notre mécontentement, le propriétaire restait à Paris. Au bout d’un mois, il ordonna à Roubaud, qui lui transmettait nos réponses, d’annoncer à ceux des métayers qui n’avaient pas encore adhéré entièrement aux conditions nouvelles qu’ils aient à se pourvoir ailleurs d’un logement. C’était le congé définitif pour ceux du Plat-Mizot, pour ceux de Praulière et pour nous.

Je n’aurais jamais cru que le maigre et remuant Lavallée cachât sous des dehors affables une telle dose de perfidie. Roubaud, plus tard, me rapporta de lui cette phrase :

— Les métayers sont comme les domestiques : avec le temps ils prennent trop de hardiesse ; il est nécessaire de les changer de loin en loin.


XLIV


Une grande lassitude physique et morale m’envahit alors. À tous les âges, il est, pour chacun, des périodes de dépit où les misères journalières semblent plus cuisantes, où tout concourt à vous attrister, où l’on est las de la vie qu’on mène. Mais ces impressions, vers l’âge du déclin, se font plus amères et plus douloureuses. Je touchais à mes cinquante-cinq ans ; mon visage perdait ses derniers tons vermeils ; les fils blancs se multipliaient dans ma barbe et il avait neigé fortement sur mes tempes ; enfin, les travaux pénibles commençaient à me sembler durs ; mes muscles faiblissaient : c’était le prodrome de la déchéance.