Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/245

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il est juste de dire que Charles ne se fâchait pas ; il approuvait même les libéralités faites à sa sœur. Mais l’aîné, stimulé par sa femme, appuyait ses observations.

Il fallut donc en arriver à ne plus faire de présents à Clémentine, ouvertement du moins. Nous rusions. Je me chargeais souvent de lui porter, dissimulés sous ma blouse, de petits paquets de denrées ou de victuailles. Mais les yeux inquisiteurs de Rosalie furetaient partout. Il était bien difficile à Victoire de faire disparaître les moindres choses en dehors d’elle et c’étaient des scènes de plus en plus violentes quand elle découvrait quelque don fait à son insu.

Mais un événement plus important vint reléguer au second plan ces misères de notre intérieur.


XLIII


Je puis dire sans orgueil que le domaine avait pris de la valeur, et beaucoup, depuis que je le cultivais. Je n’y avais pas plus ménagé mes peines que s’il m’eût appartenu, ou que si l’on m’eût donné la certitude d’y passer toute ma vie. J’avais épierré des pièces entières, défriché des coins broussailleux, divisé des haies trop larges et creusé des mares dans les champs qui en étaient dépourvus. Le jardinier du château ayant consenti à me donner quelques leçons de greffage, tous les arbres sauvageons des haies étaient devenus, par mes soins, producteurs de bons fruits. J’étais aussi parvenu à rendre très praticable le chemin qui nous reliait à la route et que M. Lavallée, pas plus que son