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moment ; vous serez appelé comme les autres créanciers ; vous n’aurez qu’à donner vos pièces au syndic.

Chez nous, ce furent des lamentations sans fin de Victoire :

— Tant se donner de peine pour réserver quelques sous et tout perdre à la fois, mon Dieu, que c’est malheureux ! Et ce pauvre argent qui venait de mes parents ! Mon Dieu ! Mon Dieu !

Tout le monde était triste et bien ennuyé. Il n’y eut que Charles pour se montrer philosophe et nous remonter.

— Que voulez-vous, il n’y faut plus penser : c’est perdu, c’est perdu, quoi ! D’ailleurs, ça ne changera rien à votre façon de vivre ; vous auriez travaillé tout autant si cela n’était pas survenu…

Dans mon malheur, j’avais pourtant la consolation de me dire que je n’étais pas seul à m’être laissé prendre : les badauds de mon espèce étaient nombreux ! Je me félicitais surtout d’avoir suivi les conseils de Victoire quant à l’argent de Dumont. Car l’honnête Cerbony avait cette coutume de tirer de ses victimes le plus qu’il lui était possible. Un pauvre vieux jardinier avait ainsi emprunté à une tierce personne plusieurs milliers de francs pour arriver à fournir au monsieur une somme qu’il exigeait. Dépouillé de ses économies et incapable de rembourser son prêteur, le vieillard monta une nuit sur le rocher où se dressent les tours du vieux château, d’où il se précipita dans l’étang qui le baigne. Les lavandières, au petit matin, aperçurent un paquet suspect flottant à la surface de l’eau : c’était son cadavre.

Il me fallut faire des démarches embêtantes, aller plusieurs fois à Moulins, m’associer avec d’autres victimes pour consulter un avoué. Après deux ans, quand tout fut réglé, on nous donna cinq pour cent ; je tou-