Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/240

Cette page a été validée par deux contributeurs.

nous étions à charger du bois dans un de nos champs en bordure de la route, le facteur de Franchesse, qui arrivait de Bourbon où il allait chaque matin chercher son courrier, s’arrêta pour nous causer.

— Vous ne savez pas la nouvelle ?

— Et quoi donc ?

— Cerbony, le fameux Cerbony, a pris le pays par pointe il y a trois jours. Sa femme était partie au commencement de février avec beaucoup de colis. Depuis, lui n’avait cessé de faire des expéditions ; les domestiques n’y comprenaient rien ; la maison restait à peu près vide et le magasin aussi. Mardi, il a prétexté un voyage à Moulins ; il devait rentrer le soir ; il n’a pas reparu. Mais hier est arrivée de Suisse une lettre de lui pour le maire annonçant qu’il ne reviendrait plus. On dit que ça va être un galimatias impossible ; il devait à tout le monde !

Sur le char où j’empilais toutes longues les branches des arbres élagués, j’eus un éblouissement passager, puis une sorte de vertige qui me fit chanceler. Le Jean s’en aperçut et me lança un regard inquiet, cependant qu’il s’efforçait de dissimuler son trouble pour répondre au facteur.

À Bourbon, où je me rendis le soir même, tout le monde me confirma le désastre. Je ne voulus pas aller chez le notaire qui, narquois, eût probablement ri de mon malheur, étant donné surtout qu’il s’agissait d’argent placé en dehors de ses offices. Mais je m’en fus trouver le greffier du juge de paix qui était un homme de bon conseil, auquel tous les gens de la campagne avaient recours dans les cas difficiles, et je lui exposai mon affaire en pleurant presque. Il parut remué de me voir si navré ; il essaya de me réconforter, mais déclara qu’il ne pouvait nullement m’être utile :

— D’ailleurs, ajouta-t-il, il n’y a rien à faire pour le