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et lourde. Je marchais, les yeux à demi-clos, ayant sommeil, quand je vis, au bord du fossé qui longeait le bois, un grand reptile noir gros comme un manche de fourche et presque aussi long. Ça devait être une couleuvre. Mais, n’ayant jamais vu que quelques lézards et quelques orvets et ayant entendu parler des vipères comme de mauvaises bêtes particulièrement dangereuses, je crus avoir devant moi une énorme vipère noire. Je commençai par me sauver ; puis je revins à petits pas prudents avec le désir de la voir encore ; mais elle avait disparu.

Un quart d’heure après, ayant oublié déjà cet incident, j’étais assis à une certaine distance, en train de taillader une branche de genêt avec mon petit couteau quand, tout à coup, j’aperçus la vipère noire qui rampait dans les bruyères, venant de mon côté très vite. Instinctivement, je me pris à courir comme un fou dans la direction des moutons. Hélas ! j’avais compté sans les ronces traînantes. Avant que j’aie parcouru vingt mètres, il s’en était trouvé une pour m’entraver et me faire tomber. J’étais tellement sanglotant et tremblant que je n’eus pas tout d’abord la force de bouger. Et voilà que je sentis un attouchement singulier sur mes jambes nues, puis qu’au derrière de la tête quelque chose de frais m’effleura… Je crus que c’était la vipère noire qui, m’ayant poursuivi, rampait sur mon corps. Sous le coup de l’angoisse immense qui m’étreignait, je me levai d’un bond. Il n’y avait autour de moi nul agresseur reptilien ou autre, mais seulement deux êtres amis venus pour m’affirmer leur sympathie et me prodiguer leurs caresses : c’était le bon Médor qui m’avait léché les jambes et le petit agneau à tête noire qui avait posé son nez sur ma nuque. Grâce à la compagnie des deux pauvres bêtes, je me remis un peu de ma grosse émotion. Néanmoins, quand je rentrai comme