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nait une maîtresse, disait-on ; fréquemment aussi, il se rendait à Nevers, à Paris ou dans le Midi. On ne connaissait pas ses origines, mais on le disait très riche, et on prétendait qu’il faisait tout ce commerce par goût plus que par nécessité.

J’avais entendu dire que M. Cerbony prenait de l’argent un peu comme un banquier, en donnant comme garantie un simple billet avec sa signature. Comme j’avais confiance en lui, je m’en fus le trouver un dimanche matin, après la première messe, sous prétexte de lui vendre mon petit lot d’avoine. L’ayant trouvé seul, je lui déclarai timidement :

― Monsieur Cerbony, je dispose d’un peu d’argent que je voudrais placer : voulez-vous le prendre.

— Combien avez-vous ? me demanda-t-il de sa voix bien timbrée.

— Je puis vous remettre quatre mille francs, monsieur.

— C’est trop peu… Je pourrais occuper dix mille francs à la fin du mois. Voyez vos voisins, vos amis ; faites-moi dix mille francs entre plusieurs.

— Monsieur Cerbony, je ne connais personne qui… Si, pourtant : j’ai un voisin qui doit avoir dans les deux mille francs.

(C’était Dumont, de la Jary d’en bas ; il m’avait dit ça un jour que nous taillions ensemble une haie mitoyenne.)

— Eh bien, c’est entendu, vous m’apporterez ces six mille francs à la fin du mois ; je serai obligé de demander le reste ailleurs, mais tant pis… Il faut bien vous faire plaisir : vous êtes un client. Ah ! j’oubliais de vous dire que je paie cinq comme tout le monde. Au revoir.

J’allai trouver le soir même Dumont, de la Jary, pour lui faire part de la combinaison ; à mon grand étonnement, il ne se montra pas enthousiaste.