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puis j’avais été mis à bas tout à fait par la grêle de 61 et les canailleries de Sébert ; et, au moment où, remis à flot, je me croyais en passe de faire quelque chose, — et cela en dépit des conditions draconiennes de M. Lavallée qui avait augmenté de deux cents francs mes redevances annuelles, — était survenu ce nouveau désastre : la guerre.

Depuis, grâce à une suite de bonnes récoltes, j’avais pu réaliser enfin quelques avances ; et, après la mort de mes beaux-parents, — survenue à un mois d’intervalle dans l’hiver de 1874, — je me trouvai en possession de quatre mille francs environ.

Or, ça m’eut vite ennuyé de garder cet argent dans l’armoire : d’abord, il n’y faisait pas les petits, et puis je craignais les voleurs, car souvent, l’été, la maison restait seule. Le notaire de Bourbon, auquel je m’adressai, ne connaissant pour l’instant nul placement avantageux, j’en vins à songer à M. Cerbony.

M. Cerbony était un des grands brasseurs d’affaires de la région : fermier de trois domaines, il était avec cela marchand de grains et marchand de vins, et vendait aussi des engrais, des graines ; il cumulait tous les commerces ruraux. Jeune encore et de mine souriante, c’était un homme très sympathique. Au contraire de la plupart des fermiers généraux qui sont arrogants et vaniteux, il était simple et jovial, donnait à tout le monde de vigoureuses poignées de mains et parlait patois avec nous autres, les paysans. Aux foires, il payait de nombreuses tournées, et son entrée dans un café était considérée à juste titre par le tenancier comme une véritable aubaine. Il avait fait construire de vastes magasins et une maison à un étage, avec balcons et arabesques, qui faisait de l’effet. Il menait grand train, voyageait beaucoup ; il allait chaque semaine à Moulins où, bien qu’il fût marié, il entrete-