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servations étaient méritées. Il me semblait entendre encore les réponses catégoriques de Victoire à la petite Marthe Sivat et à la pauvre femme dont le mari était malade :

— Non, non, je ne veux pas les vendre ! Je les conserve pour mon Charles.

Et il avait suffi d’un cri d’admiration de la dame pour qu’elle les lui offrît, très humblement…

— C’est bien vrai, pensais-je, que nous sommes encore esclaves.

Victoire avait sûrement un peu de remords de cette action qui semblait démentir toutes ses manifestations passées d’amour maternel ; mais elle éprouvait, d’autre part, un certain orgueil d’avoir pu faire sa cour à la propriétaire, de l’avoir bien disposée en notre faveur en lui offrant un cadeau qui lui plût ; et, sous le coup de ses pensées multiples, elle répondit d’un ton conciliant :

— Ne parlez donc plus de ça : ce n’est pas ma faute ; il fallait bien que je fasse plaisir à notre dame !


XL


Après vingt ans de séjour à la Creuserie, je n’étais guère plus riche qu’au moment de mon installation ; c’est tout juste si j’avais pu me liquider des mille francs que je redevais sur ma part de cheptel. Ç’avait été pourtant une période pendant laquelle certains, plus chanceux, avaient gagné beaucoup. Mais les hésitations de M. Parent ne m’avaient pas permis de faire de bénéfices pendant les cinq ou six premières années ;