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ment de sa grosse personne : on eût dit l’une des vieilles tours de Bourbon en balade. Lui était toujours vif et fluet ; il avait le ventre collé aux reins et sa redingote dansait sur son dos ; son visage aux expressions variées était devenu anguleux d’être trop sec.

Après les salamalecs obséquieux des premières minutes, j’emmenai M. Lavallée visiter les étables où il était indispensable d’effectuer de menues réparations. Pendant ce temps, la dame, qui n’avait pas voulu s’asseoir à la maison, sillonnait lentement la cour en compagnie de Victoire. Le hasard voulut qu’elle aperçût la treille et les petits sacs blancs, au travers desquels transparaissaient les raisins.

— Quoi, Victoire, toujours des raisins ! Savez-vous bien qu’ils deviennent rares : au château, nous n’en avons plus un seul, et pourtant ce sont les fruits que je préfère. Mais dites-moi donc pourquoi vous avez pris tant de précautions pour les garder jusqu’à présent ?

Victoire eut un instant d’hésitation, puis elle dit :

— Madame, c’était pour avoir le plaisir de vous les offrir.

— Oh ! merci bien ! Quelle délicate attention ! Il faudra me les apporter dès ce soir.

Victoire cria :

— Rosalie, prenez vite le petit panier, puis vous sortirez l’échelle de la grange, vous cueillerez ces raisins et vous les porterez chez madame.

La bru obéit, mais au souper, elle dit ironiquement :

— Ce n’était pas la peine de si bien les conserver, les raisins ; mon beau-frère n’en profitera guère…

Pour une fois, Moulin fit chorus :

— C’est malheureux, on est encore aussi esclave que dans l’ancien temps.

Je restais silencieux, comprenant combien ces ob-