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presque nues, ne portant plus que les enveloppes flasques et desséchées, et les seuls grains durs dédaignés. Il devenait urgent de remédier à cet état de choses, faute de quoi le pauvre militaire risquait fort de ne pas goûter aux beaux raisins de la treille réservée. L’amour maternel rend les femmes ingénieuses : la mienne chercha dans le tiroir aux chiffons, et, avec les morceaux d’une vieille toile assez usée pour ne pas empêcher la pénétration de l’air, assez résistante pour arrêter les insectes rapaces, elle confectionna des sachets garnis d’une coulisse vers le haut. Clémentine et Rosalie, qui n’étaient pas dans la confidence, la regardaient faire, très intriguées. Quand une trentaine furent bâtis, elle adossa elle-même une échelle au mur de la grange, grimpa jusqu’à la hauteur des raisins et enferma les trente plus beaux dans les sachets protecteurs.

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Vers le milieu d’octobre, la petite Marthe Sivat, une couturière du bourg, vint chercher des poulets pour la noce de sa sœur.

— Tiens, c’est des raisins que vous avez là-dedans ? s’exclama-t-elle en levant les yeux vers la treille. Vous avez joliment bien su les conserver… Mais j’y songe : on m’a justement chargé d’en acheter pour les desserts du soir ; voulez-vous me les vendre, madame Bertin ?

La bourgeoise ne voulut rien savoir.

— Non, ma fille, non ! Si j’ai pris tant de peine pour les garder jusqu’à présent, c’est que j’en ai besoin ; et quand même on m’en offrirait bien plus qu’ils ne valent je ne les vendrais pas : je les conserve pour mon Charles.

— Ah ! il revient cette année, votre fils ? Alors vous avez raison, il faut les lui garder, nous trouverons bien autre chose comme dessert de noce.