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les deux jeunes ménages. Clémentine avait parlé la première de prendre l’attelage pour aller en compagnie de son mari à la fête patronale d’Ygrande, car Moulin avait un oncle dans cette commune. Mais voilà que le Jean et sa femme manifestèrent l’intention de se rendre à Augy, où c’était le même jour la fête, et où habitait un frère de Rosalie ; ils voulurent aussi la bourrique et la voiture. Les deux femmes se disputèrent un peu ; ma bru dit à ma fille qu’une malade, une bonne à rien, n’avait pas besoin de se promener ; Moulin, survenant, accusa Rosalie d’être une sale bête. La discussion s’envenimait et menaçait de durer longtemps. Victoire était désolée. Mais je mis le holà en déclarant que Clémentine aurait l’équipage, puisqu’elle l’avait demandé la première. La femme de Jean fut absolument furieuse de ma décision : elle m’en tourna les yeux pendant plusieurs semaines. Et, à dater de ce jour, les deux belles-sœurs ne se parlèrent plus que pour se moquer l’une de l’autre, se dénigrer malignement.

D’un autre côté, Moulin n’avait pas le don de se faire aimer. Il avait la manie d’émettre des avis sur toutes choses ; il se mêlait même de me donner des conseils pour le pansage des bestiaux, à moi qui passais pour un des bons soigneurs du pays. On peut croire que cela ne m’allait guère, et le Jean ne tarda pas de lui laisser entendre qu’il nous ennuyait. Il en résulta, entre lui et nous, une de ces tensions qui rendent pénible l’intimité quotidienne.


XXXIX


Victoire n’avait jamais pu s’habituer tout à fait à l’absence de Charles. Il suffisait pour la chagriner d’un