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Marivole, vole vole ;
Ton mari est à l’école,
Qui t’achète une belle robe…

Je lui chantais ce refrain, que m’avait appris la Catherine, tout en la poussant du doigt. Et la pauvrette faisait bien, en effet, de s’envoler au plus vite ; car je la mettais toujours en piteux état lorsqu’elle tardait d’obéir à l’injonction.

Mais, en dépit de tout cela, je trouvais le temps bien long. J’avais ordre de ne rentrer qu’entre huit et neuf heures, quand les moutons, à cause de la chaleur, refusent de manger et se réunissent en un seul groupe compact dans quelque coin ombreux. Quand je rentrais trop tôt, j’étais fâché et même battu par ma mère qui ne riait jamais et donnait plus volontiers une taloche qu’une caresse. Je m’efforçais donc de rester jusqu’au moment prescrit. J’avais, pour ne pas me tromper, une remarque sûre : quand le chêne qui était à droite de la barrière d’accès mettait en plein sur cette barrière la rayure noire de son ombre, je pouvais partir sans rien craindre ; il était huit heures au moins.

Mais, Dieu, que c’était dur d’attendre jusque-là ! Et le soir, que c’était dur d’attendre la nuit tombante ! Des fois, la peur et le chagrin me prenaient, et je me mettais à pleurer, à pleurer sans motif, longtemps. Un froufroutement subit dans le bois, la fuite d’une souris dans l’herbe, un cri d’oiseau non entendu encore, il n’en fallait pas davantage aux heures d’ennui pour faire jaillir mes larmes.

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Il y avait trois semaines que j’allais seul à la Breure quand j’eus ma première grande terreur. C’était au cours d’une soirée chaude ; des bourdonnements endormeurs d’insectes passaient dans l’atmosphère calme