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aux environs de Noël, la mort de Louise, la fiancée de mon Jean ; sa jeune sœur fut défigurée et pleura amèrement sa beauté perdue, regrettant de n’être pas morte aussi.

Dans le moment que les Mathonat étaient tous atteints, au point qu’il n’y en avait quasi aucun qui soit en état de soulager les autres, Victoire et Clémentine manifestèrent l’intention d’aller les voir et de les soigner si besoin était. Or, cette mauvaise maladie passait pour être contagieuse et je ne tenais pas du tout à les laisser partir, craignant qu’elles ne reviennent prises. Je dis que nous avions bien assez de malheur pour notre compte, qu’après tout les Mathonat ne nous étaient rien, et qu’ils avaient des parents peu éloignés dont c’était l’affaire de leur rendre service. Comme elles voulaient persister malgré mes avis, j’imaginai de dire que j’étais malade et me mis à faire le quetou[1], ne mangeant pas, simulant la fièvre. Je pus ainsi, en les apitoyant sur moi, faire ajourner leur visite. Elles n’allèrent à Praulière qu’après la mort de Louise, quand la maladie fut en décroissance. Et nous eûmes la chance de rester indemnes.

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Comme pour donner un sens de punition divine à tous ces maux, le ciel souvent se tavelait de marbrures rouges, devenait même parfois, sur un côté de l’horizon, d’une uniforme teinte pourpre, au point qu’on l’eût dit voilé d’un suaire de sang. Il ne s’agissait que de phénomènes atmosphériques sans importance auxquels on n’aurait nullement pris garde en temps ordinaire ; mais en ces jours de deuil, de désastre et de misère, cela achevait de donner des idées lugubres. Le ciel rouge annonçait de meurtrières batailles ; c’était

  1. Faire le quetou : être maussade et triste.