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pleine : des six domaines de la propriété il lui venait des auditeurs, et il en venait d’ailleurs aussi, tellement l’inquiétude était vive. Dans les premiers jours de septembre, le journal annonça que Napoléon était prisonnier à la suite d’une grande bataille perdue, et que son gouvernement était à bas, qu’on avait proclamé la République à Paris. Le dimanche suivant, j’appris au bourg de Franchesse que le maire avait été remercié et qu’on l’avait remplacé par Clostre, le marchand de nouveautés, un rouge. À Bourbon, le docteur Fauconnet était maire. Ces changements m’eussent laissé assez indifférent si on ne m’eût appris quelques jours plus tard que le gouvernement nouveau voulait tenter l’impossible pour repousser les Prussiens qui s’avançaient sur Paris. Pour commencer, il se proposait de faire une levée parmi les jeunes gens de dix-huit à vingt ans. Cela me touchait beaucoup, puisque Charles et le domestique se trouvaient en passe d’être appelés. Ils furent, en effet, convoqués peu après pour tirer au sort et passer la révision du même coup, et ils partirent dans les premiers jours d’octobre. Cet événement donna lieu à une répétition lamentable de la scène qui avait marqué le départ de l’aîné ; une profonde désolation en fut la suite.

Je n’étais plus que seul d’homme ! seul d’homme dans un grand domaine, et c’était l’époque des multiples travaux d’automne, de l’arrachage des pommes de terre, des labours, des semailles ! J’eus pourtant la chance de pouvoir raccrocher le père Faure que j’engageai de semaine en semaine jusqu’à la fin. Avec l’aide de Clémentine et de Francine qui vinrent toucher les bœufs constamment, je pus tout de même faire mes emblavures.

Les métayers des autres fermes étaient tous dans le même cas ou à peu près. Partout on voyait les femmes