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― Allons, mon garçon, il te faut nous quitter : espérons que ça ne sera pas pour bien longtemps.

Je pris le ballot que Clémentine avait déposé sur un tas de pierres et le lui remis. Alors, brusquement, il se dégagea des chères étreintes qui l’accaparaient et partit à grands pas sans retourner la tête. Il me fallut entraîner Victoire et Clémentine qui, sans moi, l’auraient suivi, je crois bien…

— Pauvre petit, je ne le verrai plus ! je ne le verrai plus ! répétait Victoire obstinée.

Elle fut trois jours sans presque rien manger : je craignis qu’elle ne tombât tout à fait malade. Pourtant, peu à peu, dans le train ordinaire des choses, son grand chagrin s’atténua pour faire place à une tristesse latente. Et Clémentine bientôt se reprit à sourire.

On se remit donc au travail comme si de rien n’était : on fit la moisson des avoines ; les machines à battre sifflèrent et grincèrent ; on commença les fumures, les labours.

Il y eut néanmoins une nouvelle crise de chagrin au sujet du Jean, lorsqu’il nous apprit, par une courte lettre, qu’on l’envoyait en Algérie, de l’autre côté du grand ruisseau. Plus que jamais sa mère le crut perdu. Mais une autre lettre nous parvint, dans laquelle il annonçait que la traversée avait été bonne, qu’il se portait bien, n’était pas malheureux, et que ses compagnons étaient tous des gens de par ici : cela nous rassura quelque peu.

M. Lavallée était reparti pour Paris avec sa famille ; il avait, disait-on, repris son costume d’officier pour aller se battre. Des événements de la guerre on ne savait pas grand’chose, sinon que c’était loin d’aller bien pour la France. Roubaud, le garde régisseur, recevait un journal, et nous allions souvent le trouver pour avoir des nouvelles. Sa maison, le soir, était toujours