Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/22

Cette page a été validée par deux contributeurs.

n’allais pas loin sans être arrêté par une de ces méchantes qui me griffait cruellement. J’avais toujours le bas des jambes ceinturonné de piqûres, soit vives, soit à demi-guéries.

J’apportais dans ma poche, pour quand j’avais faim, un morceau de pain dur avec un peu de fromage et je mangeais assis sur une de ces pierres grises qui montraient leur nez entre les plantes fleuries. À ce moment, un petit agneau à tête noire, très familier, ne manquait jamais de s’approcher, et je lui donnais quelques bouchées de mon pain. Mais les autres s’en aperçurent ; un second prit l’habitude de venir aussi, puis un troisième, puis d’autres encore, si bien qu’ils auraient mangé sans peine toutes mes provisions, si j’avais voulu les croire. Sans compter que, quand Médor n’était pas à la poursuite de quelque gibier, il venait aussi demander sa part ; même il bousculait les pauvres agnelets, — sans leur faire de mal, d’ailleurs, — afin d’être seul à me regarder de ses bons grands yeux suppliants. Je lui jetais au loin, pour le faire s’écarter, de tout petits morceaux, et les bêleurs profitaient vite de cet instant pour venir happer dans ma main ce que je voulais bien leur distribuer.

Cela m’amusait, et une foule d’autres épisodes de moindre importance m’amusaient aussi ; je regardais voler les tourterelles, détaler les lapins ; je faisais le tour du terrain, en suivant les haies, pour trouver des nids ; je saisissais dans l’herbe un grillon noir ou une sauterelle verte que je martyrisais sans pitié ; ou bien je faisais marcher sur ma main une de ces petites bestioles au dos rouge tacheté de noir que les messieurs nomment « les bêtes à bon dieu » et qu’on appelle ici des « marivoles. »