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aux veillées — même en compagnie de ses frères ou de la servante. Néanmoins, Victoire consentait parfois à l’y conduire elle-même, lorsqu’elle n’était pas souffrante. Aussi, lorsqu’il y avait un bal nocturne en perspective, Clémentine, quinze jours d’avance, la taquinait-elle :

― Dis, maman, nous irons… ― Et câline : ― Je t’en prie, ma petite mère !

— Tu m’embêtes, va ! Nous verrons quand ce sera le jour.

Quand c’était le jour, neuf fois sur dix la maman n’était pas disposée ; et la petite allait se coucher furieuse, refoulant ses larmes à grand’peine. Les jours suivants, elle était d’une humeur impossible, ne disait pas un mot, faisait sa besogne en rechignant. J’ai souvenance d’une fournée de pain qu’elle gâcha au lendemain d’une veillée dansante au Plat-Mizot, où sa mère n’avait pu la conduire en raison d’une crise de névralgie. Clémentine se défendit d’avoir fait exprès de mal travailler sa pâte, mais j’ai la certitude que sa mauvaise humeur y fut pour quelque chose.

Pourtant, quand rien ne la contrariait, elle travaillait fort bien, et elle se montrait très aimante et très douce. Sa mère l’avait envoyée quelque temps en apprentissage chez une couturière de Franchesse ; aussi était-ce toujours elle qui s’occupait de confectionner nos chemises et nos blouses et de les repasser. De plus, elle s’empressait à boucler nos cravates quand nous allions en route, à nous panser, à nous envelopper les doigts quand nous nous faisions des écorchures ou des coupures, et, quand nous prenions des épines, à nous les enlever. Enfin, quand quelqu’un toussait, elle était toujours la première à faire de la tisane, une infusion de tilleul, de guimauves, de violettes ou de feuilles de ronce. À cause de tous les petits services qu’elle rendait ainsi, elle était bien aimée. Charles même deve-