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suprématie qu’assurait au Jean son rôle de bouvier.

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Clémentine, la cadette, tenait aussi comme caractère le milieu entre nos trois enfants. Il y avait des jours où elle était affectueuse et courageuse plus encore que le Jean, et d’autres, par contre, où elle était épineuse autant que le Charles, sinon plus. Elle était d’autant meilleure que l’on se montrait plus disposé à satisfaire ses caprices. Comme toutes les jeunes filles, elle avait la manie de vouloir aller belle. Certes, on n’avait pas encore idée à cette époque du luxe d’à présent, mais on s’éloignait déjà beaucoup de la simplicité de ma jeunesse. C’était le règne des bonnets à dentelle qui coûtaient cher d’achat et qu’il fallait à tout moment faire repasser. Et les robes commençaient à se compliquer : voilà-t-il pas que les couturières de Bourbon, qui se tenaient au courant des modes, imaginèrent de faire adopter à leurs clientes les robes à crinoline qui vous les faisaient grosses comme des tonneaux !

Les filles de la ville en furent bientôt toutes munies et celles de la campagne ne tardèrent pas à en vouloir aussi. Clémentine insista pour en avoir une ; mais je soutins sa mère pour opposer un refus énergique.

— Ah, non par exemple ! Je ne veux pas te voir habillée comme une comédienne ![1]. En voilà une idée de se rentrer dans un cercle ?

Mais c’est en vain que j’essayais de ridiculiser cette crinoline qui lui tenait au cœur : cent fois elle revint à la rescousse, et, devant la persistance de notre refus, elle bouda pendant plusieurs semaines.

Nous lui permettions de fréquenter quelque peu les bals de la journée, mais nous lui refusions généralement l’autorisation d’aller danser la nuit aux fêtes ou

  1. Se dit communément dans le sens de bohémienne.