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mère comme caractère. Il était un peu sournois ; il avait toujours l’air d’avoir à se plaindre de quelque injustice, de nous vouloir du mal à tous. À l’aller et au retour du travail, il restait en arrière sous un prétexte quelconque pour ne pas se mêler au groupe commun. Quand il allait le dimanche à la messe, jamais non plus il ne partait avec tout le monde. Et quand il nous arrivait, l’hiver, d’aller veiller à Baluftière, à Praulière ou au Plat-Mizot, lui ne nous accompagnait pas : il restait à la maison ce soir-là et partait tout seul le lendemain. Il semblait heureux d’agir en toutes choses au rebours des autres. Et pas obligeant pour deux sous ! N’étant pas bouvier, il ne voulait en aucune circonstance s’occuper du pansage. Le dimanche, il lui arrivait de rester à la maison tout le jour et de disparaître juste à l’heure du soin des bêtes. Comme le Jean rentrait toujours tard, c’est sur moi seul que tombait toute la besogne des jours de repos, car le domestique était souvent absent, lui aussi. Chose bizarre et qui me faisait lui en vouloir davantage, Charles, si mal plaisant chez nous, se montrait volontiers causeur aimable avec les voisins.

Il ne me semblait pas pourtant que nous fassions de différence entre son frère et lui, et qu’il fût autorisé à nous taxer d’injustice. Dès qu’il eut seize ans, je lui donnai autant d’argent qu’à l’aîné pour ses menus plaisirs. Victoire leur achetait toujours en même temps des effets pareils. Je ne pouvais comprendre quels motifs le rendaient si grincheux. Il n’y avait peut-être pas, à vrai dire, de motifs particuliers : c’était sa naturelle tournure d’esprit qui lui faisait voir les choses du mauvais côté, rien de plus. Je crois que les embêtements qu’il avait eus avec les petits bourgeois avaient contribué à lui aigrir le caractère de cette façon. Et, plus tard, j’ai supposé qu’il était un peu jaloux de la petite