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cules les amusements qui ne coûtaient rien : vijons, veillées, jeux avec des gages. L’auberge commençait d’être le cadre obligé de tous les plaisirs.

Le Jean était passionné pour le billard ; il dansait peu et restait timide avec les filles. Nous avions à ce moment une servante qui s’appelait Amélie, nous disions « la Mélie » ; elle avait une figure d’homme, une large bouche et les dents cariées ; elle était laide et avait, depuis plusieurs années, coiffé sainte Catherine. C’est même parce qu’elle était laide et vieille que nous la gardions, car elle avait de bien vilaines manières. Mais des servantes jeunes dans une maison où il y a des jeunes gens, c’est trop scabreux : ils ont toujours tendance à avoir des relations trop intimes, à moins qu’ils ne soient brouillés ; le premier cas entraîne fatalement des amours aux suites souvent fâcheuses ; le second provoque une guerre perpétuelle, un besoin de se faire réciproquement un tas de petites misères, et cela nuit à la bonne exécution des besognes journalières. J’avais cru m’apercevoir à différentes reprises que la Mélie, en dépit de son âge et de son physique désagréable, faisait au Jean des yeux en coulisse, des yeux d’amoureuse. Lui était grand et brun, avec une figure régulière qu’ornait une moustache déjà forte : beau garçon, en somme, et je ne croyais pas qu’il fût assez bête pour répondre à ces avances.

Un soir d’hiver, au cours de la veillée, ils allèrent ensemble broyer les pommes de terre et préparer la pâtée des cochons. Les pommes de terre cuisaient dans une méchante cabane faite de branches sèches, et couverte de genêts, qui était adossée au mur de la grange ; il y avait, à proximité du fourneau, une grande auge de pierre pour les écraser. Après un moment, l’idée me vint de savoir s’ils ne profitaient pas de ce tête à tête pour faire quelque bêtise. Ayant ouvert la porte