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apportait son eau et son pain, et l’aidait à faire son lit.

— Je vais pourtant mourir seule là… On me trouvera un beau matin morte de chagrin, de souffrance, de froid et de misère !

Après qu’elle m’eut dit cela en me regardant d’un air sombre, ma mère se mit à déblatérer contre mes frères et leurs femmes, puis contre moi-même. Toute la rancune amoncelée en ce vieux cœur aigri s’épancha en paroles amères. Il ne lui restait plus rien des petites ressources qu’elle avait apportées en quittant la communauté et elle prétendait que mes frères, à ce moment, ne lui avaient pas donné assez, qu’ils l’avaient grugée. Cette idée, née sans doute d’une suggestion de commère malveillante, avait grandi en elle au cours de ses longues réflexions solitaires ; le soupçon s’était changé en certitude : elle considérait mes frères comme des garnements et ma belle-sœur Claudine comme une saleté. Elle répétait à satiété ces mots-là :

— Les garnements ! la saleté !

De ses longues mains sèches sorties des couvertures, elle faisait des gestes de menace, et parfois elle se soulevait toute en une furieuse exaltation : sa physionomie parcheminée, aux os saillants, était plus dure que jamais et les mèches grises qui s’échappaient de son serre-tête noir lui donnaient un air de sorcière lançant l’anathème.

Je m’efforçai de la calmer, de lui prouver qu’elle exagérait, puis je m’occupai d’allumer du feu, car il faisait très froid.

— Ne fais pas tant brûler de bois ; tu vois qu’il ne m’en reste plus guère, dit ma mère.

Sa provision était maigre, en effet : il n’y avait que quelques morceaux épars au coin de la cheminée et deux ou trois brouettées de grosses bûches non fendues entre l’armoire et le lit. Elle reprit :