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Mais ce fut surtout notre petit Charles qui eut à se plaindre des enfants du maître. Tout de suite ils voulurent le prendre pour camarade de jeux ; et comme lui ne s’en souciait guère, nous le forçâmes d’accepter, sa mère et moi :

— Allons, Charles, veux-tu bien aller t’amuser avec monsieur Ludovic et mam’selle Mathilde, puisqu’ils sont assez aimables pour vouloir de toi.

Mais le pauvre gamin faisait peu de cas de cet honneur. Jouer avec des camarades auxquels il fallait dire « monsieur » et « mademoiselle » lui semblait une corvée bien plus qu’un plaisir.

D’ailleurs, l’expérience prouva bientôt qu’ils avaient souhaité sa compagnie non pour en faire un commensal sans conditions, mais bien pour le traiter en esclave, le martyriser.

Ils l’emmenèrent un jour dans le parc du château où M. Lavallée venait de faire édifier une balançoire à leur intention. Il dut les pousser l’un après l’autre, plus ou moins vite, selon leurs indications, et aussi longtemps qu’ils en eurent la fantaisie. Puis les deux tyranneaux le firent s’asseoir à son tour sur la planchette et le poussèrent tout de travers et violemment, riant bien fort parce qu’il avait peur. Cela l’effrayait, en effet, de voir qu’il s’en fallait de peu qu’il n’aille heurter les poteaux ; et la tête lui tournait ; il croyait voir en dessous le sol s’ouvrir. Mais plus il leur criait de cesser, d’une voix suppliante, plus Ludovic et Mathilde poussaient vite et mal. Quand Charles put descendre, il était pâle comme un linge, il chancelait, tremblait, et il fut obligé de s’asseoir sur le gazon pour ne pas tomber.

— Ah ! ce qu’il est poltron tout de même, firent les petits bourgeois, enchantés.

Ils croquaient des bonbons. Ludovic, qui avait bon cœur parfois, en offrit à Charles.