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règle pour faire plaisir aux parents. Je dis cela chez nous et ordonnai qu’on s’en souvînt le cas échéant. Tout le monde se mit à rire :

— À ces deux crapauds-là « monsieur » et « mademoiselle », c’est trop fort ! fit la servante.

Ils étaient en effet rudement insupportables, le « Monsieur » et la « Demoiselle ». En compagnie de leur père, ils se tenaient à peu près tranquilles ; mais avec les domestiques ils faisaient déjà le diable à quatre, et ce fut bien autre chose lorsqu’ils eurent pris l’habitude de venir seuls. À la maison ils furetaient partout, dérangeaient tout, faisaient tomber avec des bâtons les paniers accrochés à la poutre, montaient avec leurs souliers boueux sur les bancs et même sur la table cirée. Dehors, ils effarouchaient les volailles, séparaient les poussins de leur mère, poursuivaient les canards jusqu’à les faire tomber haletants, si bien que deux en crevèrent, certain jour. Ils ouvrirent une fois les cabanes de planches qui servaient de clapier, et les lapins prirent la clef des champs ; plusieurs furent perdus. Une autre fois, ils firent s’éparpiller les moutons qu’on eut mille peines à rassembler. Au jardin, ils couraient au travers des carrés, sur les semis frais et les légumes binés ; ils secouaient des prunes encore vertes, détachaient des poires inutilisables. Bref, comme personne n’osait rien leur dire, ils devenaient de vrais petits tyrans. La fillette surtout paraissait d’autant plus heureuse qu’elle nous voyait plus consternés de ses frasques. J’osais parfois une timide observation :

— Mais voyons, mam’selle Mathilde, vous faites du mal ; ce n’est pas gentil…

Elle souriait malicieusement et continuait de plus belle.

— Ça m’amuse, moi, là…

Contre cette raison, toute réplique était vaine.