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si bien cirée qu’on avait peine à se tenir debout. Le père Moulin, du Plat-Mizot, fut près de s’étaler par terre, et cela nous fit bien rire. Seulement nous n’osions éclater, de peur d’être inconvenants. Nous nous tenions au contraire non loin de la porte, debout et silencieux, et nous avions de longs regards étonnés pour toutes les jolies choses que nous étions à même de contempler. Il y avait des fauteuils et des canapés garnis d’une étoffe à fleurs bleues, avec des franges, et qui semblaient étonnamment moelleux. Une petite table devant la cheminée était recouverte d’un tapis qui s’appareillait aux fauteuils et je vis, au bout d’un moment, que le papier des murs portait aussi des fleurs bleues semblables. Sur la cheminée, en marbre rose veiné de rouge, trônaient une belle pendule jaune sous globe et des flambeaux à six branches dont chacune était garnie d’une bougie rose. Ces objets se répétaient dans une grande glace à l’encadrement voilé de gaze qui appuyait sur la cheminée. De chaque côté, dans des jardinières à fleurs peintes supportées par de délicats guéridons, se trouvaient des plantes aux larges feuilles vertes, semblables à celles qui croissaient dans la fosse de mon grand pré. L’un des angles était occupé par une étagère en joli bois découpé sur laquelle se voyaient des bibelots de toutes sortes : statuettes, petits vases et photographies. L’unique meuble, en plus de la table, était un gros objet en bois d’un rouge tirant sur le noir dont je ne devinais pas l’usage : je questionnai tout bas M. Parent qui me dit que c’était un piano. Cette belle pièce ne contenait, en somme, que de belles choses inutiles ; je ne vis pas le moindre objet qui réponde à un besoin réel. Je songeai à notre cuisine noire au béton dégradé, à notre chambre avec ses trous, et me demandai s’il était juste que les uns soient si bien et les autres si mal.