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ras du sol, ou bien à demi penchées, en des attitudes de souffrance. Les foins, aplatis comme avec des maillets, formaient au long des prés une seule nappe salie. Les trèfles montraient à l’envers leurs feuilles criblées. Les pommes de terre avaient leurs fanes brisées. Les légumes du jardin n’existaient plus qu’à l’état de souvenir.

Le vallon entier avait souffert autant : à Bourbon, à Saint-Aubin, à Ygrande, la ruine était partout complète.

Il n’y eut guère que les couvreurs et les tuiliers pour se réjouir de cette catastrophe. Demandés partout en même temps, maçons et couvreurs, pendant de longs mois, ne surent où donner de la tête. Aux tuileries, ce fut dès le lendemain une continuité de chars venant à la provision, épuisant d’un coup les réserves. Et la fabrication courante n’étant pas en mesure de répondre à ces besoins anormaux, plus d’un propriétaire fut obligé d’avoir recours à l’ardoise pour faire recouvrir ses bâtiments éventrés : c’est ainsi que l’on voit encore par ci par là des toitures dont un côté est de tuiles et l’autre côté d’ardoises ; les vieux comme moi savent tous que ce sont là des souvenirs de la grande grêle de 61.

Pour ramasser les débris informes qui tenaient lieu de récoltes, il fallut bien plus de temps qu’à l’ordinaire. Et pourtant, c’était sans valeur presque. Le foin, souillé et poussiéreux, rendit les bêtes malades. Le peu de grain qu’on put tirer des céréales fut inutilisable autrement que pour faire de la mauvaise farine à cochons. La paille même, trop hachée, ne se put ramasser convenablement. On fut obligé de réduire les litières. Il fallut acheter du grain pour semer et du grain pour vivre. Mes quatre sous d’économie sautèrent cette année-là ; je fus même obligé de me faire avancer de