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coup d’État. Puis il en arrivait à prendre à partie la municipalité de Bourbon, à larder d’épigrammes le maire et les adjoints. Toutes les municipalités, assurément, font des bêtises ; tous les maires usent plus ou moins de favoritisme et il n’est pas ditficile à quelqu’un d’un peu calé de leur faire de l’opposition. Mais au fond, et bien que le docteur eût l’air de parler raisonnablement, je ne savais trop s’il devait être pris au sérieux. Car ce grand tombeur de bourgeois vivait lui-même en bourgeois : certes, il aurait plus fait pour le peuple en allant voir ses malades régulièrement et en leur comptant ses visites moins cher qu’en pérorant chaque jour au café, tout en buvant force bocks.

En tout cas, j’avais pour mon compte, outre mes souffrances, d’autres sujets d’intérêt que les discours du docteur. Me voit-on cloué au lit juste au moment où commençaient les grands travaux, obligé de laisser tout diriger par les domestiques ! (Mon Jean, qui n’avait que quatorze ans, ne pouvait encore faire acte de maître.) J’étais toujours à me demander comment les bêtes étaient soignées, si l’on faisait du bon travail et si on ne lambinait pas trop. À mesure que s’atténuait le mal, croissait mon inquiétude. Mais j’eus beau rager, m’énerver, il me fallut bien attendre.

J’éprouvai une véritable joie d’enfant le jour où, mon pansement défait, je pus me lever, circuler. Ma jambe restait faible, mais je n’étais pas du tout boiteux. De jour en jour, m’aidant d’une béquille, je pus m’éloigner davantage de la maison. J’allai voir tous mes champs et fus heureux de constater que les récoltes semblaient belles.

— L’année sera bonne, pensais-je ; ça nous permettra de nous rattraper sans trop de peine des grandes dépenses causées par mon accident.