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complications graves, provenant des lésions internes, ne soient survenues.

Les voisines qui venaient me voir me questionnaient et jacassaient à l’envi autour de mon lit ; elles m’énervaient, et m’énervaient aussi tous les bruits du ménage : le balayage et le frottage, le tintamarre des marmites et, à l’heure des repas, le remuement des assiettes et des cuillers, même l’action des bouches happant la soupe. Je voyais souvent Victoire pleurer ; le médecin, qu’elle envoyait chercher, promettait de venir de suite et ne venait souvent que le lendemain : pendant ces longues heures d’attente, augmentait son chagrin.

C’est un des mauvais côtés de la vie des terriens que d’être ainsi éloignés de tout secours. La souffrance étreint, terrasse un être cher, et le médecin n’arrive pas, et l’on se désole dans l’impuissance où l’on est de le soulager : une terrible angoisse règne sur la maisonnée.

Le docteur Fauconnet était d’autant moins exact qu’il s’occupait de politique et passait journellement plusieurs heures au café. Il était républicain et faisait une opposition acharnée aux gros bourgeois du pays et au gouvernement de Badinguet. C’est par lui que juraient tous les avancés de Bourbon ; les soirs de beuverie, il s’en trouvait toujours quelques-uns pour aller crier devant sa porte : « Vive le docteur ! Vive la République ! » Cela l’enchantait, et cela consternait son vieux père retiré dans son château d’Agonges. Dès que je fus en état de le comprendre, après la grande crise du début, M. Fauconnet m’entretint des sujets qui lui étaient chers. Il voulait l’impôt sur le capital, la suppression des armées permanentes et des prestations, l’instruction gratuite. Il me parlait aussi de Victor Hugo, le grand exilé, et plaignait les victimes du