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J’étais troublé beaucoup quand je sortis : il me semblait que tout, au dehors, allait clamer ma faute. Je fus quasi étonné de retrouver mes bœufs bien tranquilles à la même place, de constater que le soleil brillait comme auparavant, que les lignes vertes des haies et les carrés de culture conservaient le même aspect, que mon champ de guéret avait la même teinte rougeâtre d’argile lavé, que les cailles chantaient de même dans les blés jaunissants, que les hirondelles et les bergeronnettes voletaient autour de moi comme si rien d’anormal n’avait eu lieu. Et, en rentrant à la maison, mon attelée faite, j’éprouvai une grande satisfaction de ne constater nul changement dans les façons d’être à mon égard de ma femme, des enfants, des domestiques, non plus que de M. Parent, le régisseur, qui vint dans l’après-midi. Cela me tranquillisa et me fit ramener l’acte à de plus justes proportions.

Mes relations avec la Marianne se continuèrent pendant dix-huit mois, plus ou moins suivies, selon les circonstances. Nous avions tous deux le souci de ne pas nous faire remarquer, de sauver les apparences. Il fallait donc que j’aie des motifs plausibles d’aller seul du côté des Fouinats, soit pour un travail quelconque, soit pour aller voir mes bêtes au pâturage. Il y avait des moments où les bons prétextes étaient difficiles à trouver et où je restais plusieurs semaines sans la voir. Hélas ! on a beau être prudent : à la campagne tout est remarqué, tout se découvre. Ma maîtresse ne me demandait jamais d’argent et je ne lui en offrais pas, bien entendu. Mais je lui permettais de conduire ses chèvres dans mes champs d’alentour, d’y prendre de l’herbe pour ses lapins, et je fermais les yeux volontairement quand ses volailles causaient quelques dégâts aux emblavures. Les domestiques, les