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ayez la liberté de vous mettre à l’aise… Je venais vous demander à boire.

— C’est bien facile.

Sans même prendre le temps de renouer ses cheveux, elle alla prendre sur le dressoir un grand pichet de terre jaune qu’elle remplit au seau, derrière la porte, et me le tendit. Elle voulut aller chercher un verre, mais je refusai et bus à la coquelette[1] presque toute l’eau du pichet.

— Vous aviez donc bien soif, dit la Marianne en souriant dans sa toison défaite, à moins que vous ne la trouviez meilleure que celle de chez vous.

— C’est peut-être les deux, répondis-je. Vous savez bien que le changement augmente le désir.

(La phrase que j’employai n’était pas aussi correcte que celle-ci, mais le sens était celui-là.)

Elle comprit bien mon allusion : ses joues se colorèrent, ses yeux s’animèrent et son sourire se fit moqueur.

— Ça dépend… Il y a des choses qui ont toujours le même goût, fit-elle.

— Vous le savez par expérience ? demandai-je malicieusement.

Et comme elle ne s’éloignait pas, je plongeai l’une de mes mains dans le flot d’or de ses cheveux dénoués, alors que l’autre allait se perdre dans la bâillure de la chemise, entre les mamelons tentateurs !

La Marianne n’eut aucune révolte ; il me sembla même qu’elle provoquait mes caresses. Et, avant de sortir de la chaumière, je goûtai dans ses bras cet oubli éphémère de tout, cet instant de bonheur surhumain que l’on trouve dans l’accomplissement de l’amour.

  1. En faisant couler de haut, dans la bouche, l’eau du vase.