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m’envoya à déjeuner par la servante. Je mangeai la soupe à l’ombre d’un vieux poirier, non loin de la chaumière dont j’apercevais les murs en pisé et le toit de paille, au sommet duquel croissaient des plantes vertes. Le journalier qui habitait là, un petit rougeaud qui bégayait, travaillait constamment dans les fermes ; la femme, une blonde assez appétissante qui se nommait Marianne, allait aussi en journée à l’occasion : ils n’avaient pas d’enfants. Or, ce matin de juillet était chaud et la soupe se trouva trop salée ; quand j’eus mangé, la soif me prit, et je n’avais pas d’eau. Tout naturellement, l’idée me vint d’aller demander à boire à la Marianne, que je savais chez elle pour l’avoir entendu appeler ses poules. Mes bœufs au repos soufflaient et ruminaient tout à leur aise ; je décrochai, par mesure de prudence, la chaîne qui les attelait à la herse, et je me hâtai vers la chaumière.

La Marianne, vêtue seulement d’un jupon court et d’une chemise, procédait à sa toilette. Elle avait ramené en avant pour les peigner ses cheveux défaits, dans lesquels se jouait malignement un rayon du soleil matinal ; ils me semblèrent soyeux et attirants ; ils la nimbaient d’une auréole d’or. Sa figure, quoique brunie par le hâle, avait des tons roses ; ses épaules nues étaient rondes et pleines ; sa nuque saillait, blanche et veloutée, et ses seins libres apparaissaient, rotondités tentatrices, au dessus de l’échancrure de la chemise.

Bref, elle me sembla belle, et je sentis dès l’abord courir une petite fièvre dans mon organisme.

— Bonjour, Marianne ; je vous dérange ? fis-je en entrant.

Elle tourna à demi la tête :

— Ah, c’est vous, Tiennon… Vous me trouvez dans une drôle de tenue.

— Vous êtes chez vous : c’est bien le moins que vous